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Publié le par lagouttedeau

 

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Fumé du calumet

 

 

Eric Pétetin. Sorti de dépression, «l’Indien de la vallée d’Aspe» s’oppose toujours au tunnel du Somport, entre fumette et mysticisme.

 

 

 

Par GILBERT LAVAL

 

 

La case 19 de ce drôle de jeu de l’oie est intitulée «Baston avec les pro-tunnel». Tomber dessus est un coup de chance qui autorise le joueur à relancer les dés. Ce jeudi, Eric Pétetin n’aura pas vendu un seul exemplaire du jeu. Ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. «Y a pas grand monde, aujourd’hui», constate-t-il. Surtout, il est venu là plus pour discuter et voir du monde que pour commercer.

 

Sur son stand du petit marché de Bedous, dans les Pyrénées-Atlantiques, il expose également un numéro de la revue Combat nature daté de 1999, un tract dessiné pour la manifestation du 7 mai 2000 et une brochure sans âge qui raconte la disparition du petit train qui reliait Pau à l’Espagne. Comme si tout s’était arrêté il y a plus de dix ans. Comme si celui dont le nom de guerre a été «l’Indien de la vallée d’Aspe», reprenait tout à zéro.

 

Sa tignasse brune et bouclée, égayée d’une plume, est passée au gris en même temps qu’elle s’est éclaircie. La boule de nerfs qu’il est n’a pas pris un gramme à la ceinture mais ses joues se sont creusées. L’encore quinquagénaire sort de dix ans de «ténèbres». Comme il le dit : «Je n’aimais plus rien, ni personne.»

 

C’est un «Indien» déplumé qui a déserté en 2001 la petite gare désaffectée de Lescun-Cette-Eygun. Il squattait là depuis 1984, à mi-chemin entre Oloron-Sainte-Marie et la frontière espagnole. Il remonte aujourd’hui le gave d’Aspe, un tronc d’arbre plus lourd que lui sur l’épaule pour chauffer le bâtiment sans fenêtres, sans eau, ni électricité. Le voilà revenu sur les lieux. Pour reprendre la lutte contre l’aménagement de «l’axe à camions» qui risque de «détruire la vallée» jusqu’au tunnel du Somport. Le tunnel a été construit pendant que lui et ses neurones vadrouillaient entre la mairie de Bègles où il a fait le jardinier municipal pendant six ans et la Guadeloupe où la très belle Marie est partie avec sa fille Mathilde. Si le tunnel existe, il ne sert à rien. Aucune route ne l’emprunte. C’est comme un réfrigérateur posé entre deux crêtes de dune dans le Sahara. La RN 134 continue à rallier l’Espagne par les lacets qui mènent au col. La vallée reste «un cul-de-sac», déplore l’association pro-route Béarn-Adour-Pyrénées qui enrage de voir le débat sur le «désenclavement du Haut-Béarn» demeurer «assez inexistant». En dix ans, et à quelques ronds-points et rectifications de virages près, la vallée a pris moins de rides que l’Indien qui y campe à nouveau. Tout se passe comme si, en fait, elle l’avait attendu.

 

Il n’est pas un squatteur ordinaire. «Je veux tout faire dans les règles», dit-il. C’est par courrier recommandé que ce fils de cheminot adresse en janvier sa «haute considération» au président de Réseau ferré de France (RFF), propriétaire de la gare. Il l’informe qu’y sera réinstallée l’association de la Goutte d’eau et son projet de «lieu de vie et d’échange sur l’écologie, la philosophie et l’art». Lequel président de RFF lui adresse en retour un huissier. Prévu ce 10 mars, le procès en vue de son expulsion est reporté au 28 avril. «C’est dommage, regrette Pétetin, on aurait bien rigolé.» Entre autres «troubles illicites», le plaignant relève que cette occupation occasionne «une gêne considérable aux travaux de construction du tunnel du Somport». Sauf que le tunnel est à ce point fini d’être construit qu’il a été inauguré en 2003.

 

De toute façon, les procès ne lui font pas peur. Il en a trop vu. «Du quel tu me parles ?» demande-t-il à son interlocuteur. Aucun de ses multiples passages à la barre ne l’a toutefois envoyé en prison. Ni le procès qui lui a été fait pour avoir cassé à coup de tomahawk le pare-brise d’un engin de chantier du tunnel. Ni celui qui a sanctionné sa furieuse sortie à Oloron quand, dans un Little Big Horn à l’envers, c’est l’Indien qui a perdu la bataille en faisant du stock-car avec une voiture volée. Cette dernière «grosse bêtise», dit-il, lui a valu «un internement de quinze jours à Saint-Luc».Cet internement à l’hôpital psychiatrique de Pau viendrait de ce qu’il était alors, dit-il, «un peu trop sous l’emprise de la fumette». C’est pour en avoir abusé une énième fois quand il était encore citadin à Bordeaux qu’il a loupé le Capes de sciences-éco. «Admis à l’écrit, ça va. Mais deux en maths à l’oral, c’est pas bon.» Le jeune étudiant en Sciences-Po sortait d’une maîtrise d’histoire contemporaine et venait de se marier un an auparavant, en 1977. Mais rien n’a prospéré de ses études, ni de son mariage. «Je me suis rendu compte que le système se refermait sur moi. Ne supportant plus son matérialisme et son injustice. Je suis devenu révolutionnaire.» C’est dans la montagne, une fois divorcé, qu’il est parti faire sa révolution. En fumant, surtout. L’herbe, il a arrêté d’en prendre ces dernières années. Il a repris, «au mois de novembre dernier», compte-t-il. Une fois sorti de ses «ténèbres».

 

Il est en effet parti, l’été passé, escalader le Vignemale, seul, et s’est précipité jusqu’à la grotte de Lourdes en redescendant. Le miracle a eu lieu. Eric Pétetin vit depuis dans un monde où les «méchants» font des routes qui détruisent la planète et où les «gentils» fument des joints et vont à la messe. Il est «guéri», pense-t-il, puisqu’il aime tout et tout le monde. Son ami psychiatre retraité, Jean Bergès, de passage sur son stand, diagnostique sous son nez un «délire mystique». Ses copains de la Goutte d’eau s’accommodent de ce «délire». Cet hiver, Pétetin a dressé une statue en plâtre de la Vierge devant la gare. Sous les lauriers, la statue est toujours debout, mais l’un de ses camarades, celui qui se fait appeler «Personne», l’a décapitée. «Faut le comprendre, l’excuse le frais converti. Les anarchistes ne supportent pas ça.» Eric Pétetin se verrait bien, lui, réconcilier «l’anarchie, la fumette et l’Eglise». Les copains en question vont scier du bois ou préparer la salade quand ils comprennent que leur pote est reparti à s’émerveiller de sa foi nouvelle. «A force, il gonfle»,soupire Choupy.

 

Yvette ne le croise jamais dans les villages alentour sans lui demander s’il a bien «quelque chose à manger». Elle est une «catholique fervente» de la vallée, explique Pétetin. De ceux, «un peu illuminés qui prient et chantent en tapant dans les mains», ajoute-t-il sans se moquer, ni entendre les moqueries des autres. Il y a aussi son amie coréenne mariée à un cuisinier de la vallée et qui lui laisse des nems, le chevrier qui lui offre des fromages ou la marchande de légumes du marché de Bedous qui lui abandonne des salades. Et ce transporteur qui klaxonne en passant devant la gare à chacune de ses navettes.

 

«L’Indien de la vallée d’Aspe» est un «chômeur heureux». Les indemnités que lui valent ses six ans de travail à la mairie de Bègles ne vont pas durer jusqu’à plus d’âge. Et RFF pourrait un jour le chasser de sa gare. Au moins aura-t-il vécu un temps dans un monde tel qu’il le rêve et se le raconte.

 

En 7 dates

 

23 avril 1953 Naissance à Paris, XVe.

1984 Installation dans la gare de Lescun-Cette-Eygun.

5 mai 2000 Dérapage à Oloron-Sainte-Marie.

2003 Inauguration du tunnel du Somport.

24 août 2010 Ascension du Vignemale et visite à la grotte de Lourdes.

25 décembre 2010 Réinstallation dans la gare.

10 mars 2011 Report du procès pour expulsion.

 

Réponse d'une lectrice

 

 

Déshumanisation d'un journaliste de Libé.

Monsieur Gilbert Laval,

 

J'ai pris connaissance hier, de votre article "Portrait d'Eric Pétetin".

C'est un travail de journaliste digne de "Voici" que vous nous avez présenté; s'emparant d'anecdote qui résume la personne et qui fait choc!

La liberté de la presse a bon dos!

Vous abusez de votre plume dans un irrespect total qui soulève mon indignation.

Vous êtes parti à la rencontre de cet homme, vous avez pénétré son "chez lui", parlé à son entourage et vous le condamnez bien plus que les juges ne l'ont fait.

Vous rossez un homme à terre, un homme malade, un homme sans domicile, bientôt sans revenu et un homme seul.

Je me permets de vous juger comme vous le faîtes avec cet homme. C'est un viol. Un violeur prend ce qui l'intéresse, laissant derrière lui la misère humaine. Sans penser un instant, mais comment ma victime va se reconstruire après mon acte?

Je regrette qu'il n'y ait pas plus d'Eric Pétetin sur cette planète; car vous avez omis après une mûre réflexion (enfin, je l'espère) de dire qu’Eric était un idéaliste, déterminé, sans concession, avec un amour inconditionnel pour cette vallée. Vous avez omis d'écrire qu'il était généreux, tellement, avec naïveté certes, il hébergeait les indigents, les paumés, les rejetés de cette société dont l'idéal est le profit.

Son combat l'a mené à perdre la santé et vous venez le finir "chez lui"; devant son accueil vous l'achevez dans le dos, lui faisant perdre toute crédibilité dans la reconstruction, vous sapez sa convalescence.

Oui! je regrette qu'il n'y ait pas plus d'Eric sur notre planète, pour combattre les lobies, pour la protéger des homme de profit, des centrales nucléaires en fusion qui tuent, dont la toxicité laissera des traces indélébiles sur nos générations futures.

Mais c'est juste vous que je me permets de juger aujourd'hui, à travers ce travail subjectif et manquant de discernement.

J'espère que votre promenade dans la vallée d'Aspe était sympa par ailleurs, qu'elle vous a fait apprécier ce qu'il en reste de nature; que vous vous êtes agréablement oxygéné car c'est la seule conséquence positive que ce voyage a eu sur vous.

Votre conscience ne doit pas être aussi jolie à regarder.

Merci à votre photographe qui nous montre un Eric, droit sur un rocher, regardant au loin, appuyé sur ses deux mains, vivant!

L'est-il toujours après votre article?

 

 

Cécile Gimenez.

 

 

PS: Vous avez oublié une date importante dans sa biographie. 1984, création de l'association La Goutte d'Eau, lieu d'échange et de communication pour les grimpeurs et les randonneurs de la vallée d'Aspe.

Publié dans archives-presse

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